|
♣ FIRST. « C'était fou. J'avais l'impression de voler. Mon corps se détachait petit à petit de la surface plate du sol. Je courrais à en perdre haleine, sans bien même savoir pourquoi. Enfin, peut-être que si. J'avais toujours eu en moi cette envie de m'enfuir d'ici, tracer ma propre route, vous savez, juste disparaitre pour de bon. Mais je ne pouvais pas faire ça. J'aurais laissé Nessie, ma petite sœur, toute seule, sans défenses. Et j'avais bien trop peur qu'il la tue, qu'il s'acharne sur elle car son souffre douleur ne serai plus à ses côtés, qu'il la détruise un peu plus, elle aussi. Non, je ne pouvais pas. J'en étais incapable. De toute façon, j'avais même bien trop peur que lui même me retrouve. Que serait-il advenu de moi? Pas grand chose, certainement. Mes rêves s'évanouissaient aussitôt qu'ils naissaient, s'éteignaient peu à peu, sans même que je m'en rende compte, comme une étoile pour laquelle il faudrait attendre des milliers d'années avant de se rendre compte de sa disparition. Je ne faisais que m'accrocher à ma course folle, dans notre grand jardin, seule comme jamais. Il était parti, et j'avais désobéi. J'étais sortie sans permission. Bon, je n'avais fait que ouvrir une porte, et me dégourdir les jambes dans l'herbe, mais même cela constituait une faute qui ne manquerait pas d'être punie. Sauf s'il ne s'en rendait pas compte, ce qui restait peu probable. Essoufflée, je finis par m'arrêter, et recommencer. Puis m'arrêter à nouveau, et dessiner des rondes dans les herbes hautes, encore et encore, à un rythme effréné. Cette fois ci, j'arrêtai pour de bon. Il ne fallait pas abuser des bonnes choses. Du coin de l'œil, j'observais ma sœur, qui elle me regardait de derrière la vitre, l'air triste. C'était un bon petit soldat, un ange, jamais elle ne faisait de bêtise, elle avait bien trop peur. Je lui lançais un sourire avant de me jeter à terre, dans un long soupir. Si le bonheur devait exister, il ressemblerai à ça; rester encore et toujours allongée dans de grandes herbes, à observer les nuages, leur trouver de drôles de ressemblances avec des choses réelles, et en rire, pour combler la solitude. Lorsque je finis par décider de rentrer à l'intérieur, non sans regrets. Il n'était pas là. Mais lorsqu'il rentra, il remarqua que j'avais malencontreusement laissé des traces de boue sur le sol de la cuisine. Et, il répéta avec une précision hideuse les coups de colères avec lesquels il me frappait régulièrement. Tout ça parce que moi, du haut de mes sept ans, j'avais les mêmes yeux profonds, le même nez fin, la même peau pâle, et les mêmes cheveux d'un blond pur que la femme qui lui avait brisé le cœur. Brisé? Que dis-je? Anéanti ou détruit à jamais conviendrait bien mieux. »
♣ SECOND. « Parce que j'avais grandis, parce que je pouvais m'enfuir si je le voulais, et parce qu'il était bien trop soul à longueur de journée pour avoir envie de me battre, il ne me touchait plus. Les bleus, le sang, la peur, les larmes. Tout ça ne faisait plus partie de ma vie depuis un mois. Mais le dégout était toujours présent. J'avais un soutien. Celui de Nessie. Mais il me manquait une mère, ainsi qu'un père, digne de ce nom. Pas une ivrogne sans aucuns principes qui n'avait pas connu le sens du mot 'vivre' depuis que l'amour de sa vie l'avait laissé avec deux gamines sur les bras. Non, pas lui. Il n'était rien d'autre qu'un parasite. Je voulais qu'on me lise des histoires la soir, qu'on me borde, qu'on m'ébouriffe les cheveux d'un air affectueux, qu'on m'emmène au Parc. Et ce même si je venais d'avoir treize ans. »
♣ THIRD. « Et puis d'abord, je ne sais même plus comment ça a commencé. Comment le monde a dérapé. Si ça s'est passé il y a bien longtemps, ou il y a quelques années à peine. Si les milles pâtes sont vraiment meilleurs que nous, les humains. Je ne sais plus... Comment j'ai quitté la maison avec Nessie sans me retourner. Comment petit à petit, j'assistais, impuissante, au douloureux spectacle qu'était de voir mon espèce s'éteindre au profit de ces aliens, ces envahisseurs. Je me souviens seulement avec une précision déconcertante, avoir couru comme si ma vie en dépendais, main dans la main avec Nessie. Et ma vie en dépendait. Ou plutôt l'intégrité de mon âme. Poursuivies, nous n'avions aucunes issues. Et j'arrive encore à me remémorer la nuance visible de courage dans le ton de sa voix « Tu t'es trop sacrifiée. Tu as encaissé les coups, moi je ne faisais que regarder, me cacher. Je te rends la pareille, Ael' » Je la regardais, incrédule. Ils se rapprochaient, les trois barbares avec leurs yeux brillants. « Quoi? » « Je ne serai pas assez forte. Je n'aurais pas le courage de me battre pour survivre. Je préfère me rendre. » « Non, non, surtout pas! Ils nous auront toute les deux! » Elle me serra avec force dans ses bras. Elle pleurait. « Non Ael'. Toi, tu t'en vas. Tu cours, aussi vite que tu le peux. Et je suis certaine que tu t'en sortiras. » « J'ai dit non! » « Tu t'attendais à ce que je craques! Depuis tout ce temps... n'est-ce pas? Tu le savais? » Je baissais les yeux, qui eux aussi s'emplirent de larmes. « Oui... Je savais que tu en aurais assez. Que tu préférerais mourir prisonnière plutôt que vivre fugitive. Je voulais juste retarder les adieux Ness'. » « Il est grand temps. » « NON! » « Tu as si peu de temps... Fais ça pour moi, je t'en supplie. » « Je t'aime tellement. » Avec force, je me mis à la serrer dans mes bras, sentant une dernière fois son odeur, touchant une dernière fois sa peau douce. « On se retrouvera, petite Ness. » C'était insupportable. La perspective de ne plus jamais la revoir me meurtrit, me créait une boule dans la gorge, un soulèvement de l'estomac. Les adieux. « Je t'aime. » Le son de sa voix. La dernière, l'ultime fois. Avant qu'un parasite prenne possession de son corps, bousille son cerveau, accapare ses sens. Un dernière regard, puis elle m'avait hurlé de courir. Et j'avais obéi. »
♣ FOURTH. « La solitude. Totale. La peur. A nouveau. La faim. Omniprésente. La tristesse. Plus que jamais. «Viens avec moi. » La douceur de ses yeux. La noirceur de ses cheveux. La beauté à l'était pur. Il me tenait par le poignet. Il avait remarqué ma mine tremblante, mon air différent, dans un supermarché. Maintenant il m'emmenait dehors, loin des yeux des autres. J'avais peur. «Une humaine. » Il semblait reconnaissant, surpris, mais reconnaissant. « Non. » «Tu mens mal. » « Tu es idiot. » «Tu es magnifique. » Il se mit à rire, et me prit dans ses bras avec une force déconcertante. Il me serra si fort que j'eus l'impression d'avoir les côtes brisée lorsqu'il me lâcha. Son parfum, son sourire. «Es-tu seule? » « Oui. » Et il se remit à me sourire, avec plus d'intensité encore. «Viens alors. » Il entrelaça ma main dans la sienne, et m'emmena dans son sillage, jusqu'à une vieille voiture noire. Il m'ouvrit une portière, et je m'assis sans même y penser. Il referma et vint me rejoindre côté conducteur. Avant de la mettre en marche, il me regarda avec intensité. Son sourire ne partait pas, incroyable. «Donn » « Aelys. » Le moteur se mit à ronronner. Il hésita puis prit à nouveau ma main. Je ne refusais pas. Il la lâcha de temps en temps, pour passer des vitesse, mais finit toujours par la reprendre. »
♣ FIFTH. « Je ne comprenais pas. Toujours pas. J'étais passée d'une solitude profonde, d'une peur immense, à une soudaine chaleur de sociabilité, à un confort moral et physique. Donn, en quelques sortes, était mon sauveur. Nous étions seuls, complètement seuls, et pourtant c'était bien suffisant. «Aelys? » Tout les deux, allongés sur un lit d'hôtel, regardant ces programme télés qui ne ressemblaient plus à rien, tant ils étaient niais et vides de sens. Sa main dans la mienne, comme il en avait l'habitude. A chaque fois qu'il la saisissait, je sentais en moins des frissons monter, incontrôlable, mais aussi mon estomac qui se retournait, avec fracas. « Oui? » Je décrochais les yeux du poste de télévision, et je vis qu'il me regardait de ses yeux magnifiques. Je l'imitai donc. «Tu avais l'habitude de faire quoi, lorsque tu étais heureuse? » Il avait ce sourire en coin que j'appréciais tant. « Je courrais dans l'herbe. Seule ou avec Nessie. » «Je veux que tu sois heureuse. » « Je le suis. » Et c'était vrai. Je ne pensais plus à mon enfance traumatisante. Je n'avais plus peur des hommes, puisque lui était là pour me protéger, pour m'aider à me sentir bien. Je pensais moins à Nessie, ce qui en soi, était une bonne chose. Je n'avais pas arrêté de me tourmenter auparavant, en me demandant ce qu'ils avaient fait d'elle. Si elle vivait encore un peu. Si elle était heureuse là ou elle était. Il me semblait que, d'où moi j'étais, j'étais bien. Heureuse. Vous savez, avec une bonne dose de papillons dans le ventre, pour me rappeler la mélodie de l'amour. Alors il me prit avec force dans ses bras, en me portant, comme une mariée, tout en m'extirpant du lit. Il descendit les escalier de l'immeuble, en riant en chœur avec moi. Une fois descendus, il me lâcha, entrelaça ses doigts dans les miens, et se mit à courir dans la petite parcelle d'herbe, m'emportant par la même occasion. On avait certainement l'air idiot, comme ça à courir sans aucunes raisons. Il fredonnait une chanson qui m'était familière. Je ne voyais pas le temps passer. Il me faisait tourbillonner, sous le soleil brûlant, nous chantions en cœur, nous riions. Soudain il m'amena brusquement contre lui, et passa sa main droite dans mes cheveux. «Je t'aime. » « Moi aussi. » Et puis, sans crier gare, pour la première fois, il colla ses lèvres contre les miennes. »
♣ SIXTH. « Le bonheur ne se résumait plus à regarder les nuages, allongée dans l'herbe. Le bonheur c'était ses yeux, sa bouche, ses bras protecteurs. Sa présence suffisait à me rendre complètement folle de joie. Ou folle tout court. Nous passions parfois des journées entières enfermés dans notre minuscule appartement. Nous avions bien trop peur d'être découverts. La majeure partie du temps, nous parvenions à nous faire passer pour des âmes, c'était une chance.»
♣ SEVENTH. « Mon bonheur était-il toujours destiné à être éphémère? Naissait-il si subitement pour mieux mourir d'un seul coup? J'en voulais à la terre entière. Il était parti. Son odeur avait quitté l'appartement depuis un bon mois déjà. Je l'avais pourtant attendu. Une simple course, et il n'était pas revenu. Il m'avait laissé tomber, contre son grès, j'en étais certaine. Et moi qui croyais que la paix allait bientôt régner, que nous n'aurions plus à nous cacher. Que nous allions nous marier. Que nous allions retrouver Nessie, âme ou non. Que nous serions heureux à jamais. Des mensonges. Des illusions. Des rêves naïfs. Les âmes étaient comme nous au fond, prétendant d'être les meilleures, d'offrir aux humain une chance de ne plus vivre dans le chaos. Mais elles même le créaient, le chaos. En détruisant des vies entières, tuant le bonheur d'humains qui n'avaient rien demandé à personne. Je devais le retrouver. J'avais la force, l'envie de me laisser mourir, mais non, je ne pouvais pas. Je devais me battre pour lui. Le retrouver et plaider ma cause. Dire à qui voudra l'entendre qu'il n'était pas consentant, qu'il de voulait pas de cette vie là. Quoi qu'il arrive, je savais qu'il reviendrait à moi. Je devais tenter quelque chose, même si ce devait être vain. Pour moi, pour lui, pour nous.»
|